Monday, August 8, 2016

ÉLEVAGE : Rodrigues en veille d’urgence !

L’épidémie de fièvre aphteuse gagne du terrain avec plus de 400 têtes de bétail contaminées à hier matin.

Depuis mercredi dernier, les autorités à Rodrigues sont en état de veille sanitaire d’urgence. Les craintes de la présence du virus de la fièvre aphteuse (Food and Mouth Disease) dans l’île et affectant de manière irrémédiable le cheptel de l’île s’avèrent dramatiques. Depuis, le décompte de têtes de bétail contaminées par cette grave maladie virale ne cesse d’augmenter. À moins d’une centaine en début de semaine, le nombre de bestiaux, principalement de bœufs, affectés par la fièvre aphteuse, a déjà passé la barre des 400, soit plus exactement 420 à hier matin, avec de nouveaux cas rapportés aux autorités vétérinaires de jour en jour, et 12 bœufs ayant déjà succombé au virus, de même que 22 porcs, 19 cabris et 11 moutons.

À ce stade, le conseil exécutif de l’Assemblée Régionale de Rodrigues, qui prévoit un budget de Rs 35 millions sous forme de compensation aux éleveurs, a pris la décision que tous les animaux infectés seront abattus dans une tentative d’enrayer la progression du virus hautement contagieux. Mais au sein de la communauté des éleveurs de Rodrigues, qui considèrent leurs troupeaux comme un « véritable trésor », l’on arrive difficilement à comprendre comment la situation a pu dégénérer, au point où l’élevage bovin, porcin et ovin est menacé de disparition.

Pour ne pas être en reste, le leader du Mouvement Rodriguais, Nicolas Von Mally, est monté au créneau en fin de semaine réclamant la démission du chef commissaire, Serge Clair.  Le danger que représente la fièvre aphteuse pour l’économie de Rodrigues ne fait aucun doute. Face à la presse jeudi, après une réunion d’urgence du conseil exécutif de l’Assemblée Régionale de Rodrigues, Serge Clair a fait ressortir que « cette épidémie est une véritable catastrophe pour l’élevage et pour Rodrigues » compte tenu de l’importance de cette activité dans le tissu socio-économique. Il a lancé un appel à la coopération de tout un chacun sur le terrain en vue de lutter contre la progression de cette épidémie et dévoilé également les détails d’un plan de compensation à hauteur de Rs 35 millions en faveur des victimes.

 Déjà, le problème dépasse le simple cadre d’une compensation et s’étend à une remise en question du mode de vie dans l’île. Le barème de compensation allant de Rs 1 500 pour un pourceau abattu pour infection à Rs 35 000 pour un bœuf de plus de deux ans ou encore Rs 6 000 pour un mouton ou cabri (adulte), est considéré comme nettement insuffisant devant le préjudice économique, social et moral subi par l’éleveur. À ce stade, les objections se font timidement entendre, même si elles pourraient devenir sonores dans les jours à venir, tant les préoccupations de tout un chacun avec les effets dévastateurs sur le terrain sont angoissantes.

Les régions de Rodrigues en passe d’être décrétées zones sinistrées par l’épidémie de fièvre aphteuse sont le Nord avec les villages de Roseaux, Vangar, Terre-Rouge et Crève-Coeur, et ceux de l’Ouest sont Pistache et Plaine-Corail. Les craintes de contagion des élevages des villages avoisinants ne cessent d’accroître, même si l’Assemblée Régionale de Rodrigues a sollicité le concours de la police pour limiter le libre mouvement du bétail en plein air au terme des dispositions de l’Animal Disease Act.

Les consignes du chef vétérinaire dans l’île, le Dr Jean-Marc Samoisy, sont catégoriques : « Les éleveurs doivent garder leurs animaux attachés ou dans un parc pour éviter la propagation de ce virus. Les éleveurs doivent désinfecter leurs mains, leurs pieds et leurs vêtements avec de l’eau de javel après avoir été en contact avec leurs animaux. Il faut maintenir à distance d’autres animaux comme les chiens, les chats ou les rats car ils peuvent transmettre le virus. »

Recommencer  à zéro
 Ces directives viennent bousculer les habitudes des éleveurs, comme l’affirme Jean-Marc, éleveur de carrière. « Les Rodriguais n’ont pas pour habitude d’aller chercher du fourrage pour leurs bêtes ou encore de les garder dans un parc. Le troupeau est laissé en plein air. Beaucoup ne comprennent pas ce qui se passe ou encore moins la portée de cette épidémie. Rodrigues bien tipti ek pou kapav élimine sa maladi-la, pou bizin élimn tou bann zanimo-la ek rekoumans à zéro », concède-t-il.

 Entre-temps, Jean-Marc, qui est propriétaire de trois bœufs, se plie aux exigences de la conjoncture en les enfermant dans un parc et en leur apportant de quoi se nourrir. Chaque matin, à son réveil, il court vers le parc pour dresser un constat de l’état de ses bœufs tout en priant qu’ils soient épargnés de la fièvre aphteuse vu que d’autres régions, comme l’Est et le Sud-Est, pourraient se retrouver sous la menace.
 Par contre, le sort s’est abattu cruellement sur Bernardin Isaure, éleveur exerçant à Plaine-Corail, du côté de l’aéroport. Depuis 1984, ce pêcheur à la senne a consenti à des sacrifices pour se constituer un troupeau de 37 bœufs, dont 16 taureaux. Il avait commencé avec un boeuf et jusqu’à tout récemment, son troupeau était sa fierté. « Ti mo trézor sa. Mo péna kont labank mwa. Zordi tout finn fini », confie-t-il à Week-End, les larmes aux yeux.

 En moins d’une nuit, l’épidémie de fièvre aphteuse a affecté son troupeau et tous ses plans pour les membres de sa famille et son employé, Nathaniel François, qui assurait le gardiennage de son troupeau, sont chambardés. « Le premier signe avant-coureur est survenu mercredi. Mo ti pé lev kazyé lor lamer. Mo finn gagn enn message ki dir mwa éna enn bef ki pé bavé. J’ai donné des instructions de le séparer du reste du troupeau et de l’attacher loin du parc. Mwa mo kwar ki ti déza tro tar », raconte cet éleveur abattu par ce qu’il découvrira le lendemain matin.

 Pour la nuit de mercredi à jeudi, le reste du bétail fut gardé dans le parc. « Zédi matin, létan mo al guet bann lézot bef, mo finn gagn sok mo lavi. Tou mo bef ti pé bavé. Mo finn vérifié bann zanimo enn par enn. Zot tou ti pé bavé. Mo pa lé kwar mo dir ou », ajoute-t-il en essayant de se mettre en contact avec les services vétérinaires de Rodrigues déjà sous pression ce jeudi matin et submergés par les appels téléphoniques de détresse.

 « J’estime que j’ai essuyé des pertes de Rs 1 million. Pire que cela. Ce troupeau de bœufs était mon avenir et m’avait permis d’assurer l’éducation de mes enfants, de faire l’acquisition d’un bateau de pêche et des casiers. Séki pé arrive mwa-la, zamé finn arrivé. Finn éna lasesres. Mé sa mo pa ti pé atann », lâche-t-il en se tournant vers Nathaniel, âgé de 23 ans, qui se voit sans travail du jour au lendemain avec le prochain abattage des bœufs infectés. Le jeune homme est doublement affecté car, outre de perdre son emploi, il avait développé des liens affectifs avec chacun des bœufs, qui étaient sous sa responsabilité chaque jour.

Campagne de vaccination
 Le drame que vit Bernardin Isaure n’est pas unique à Rodrigues, car bon nombre d’éleveurs avec un cheptel de quel que 10 000 têtes de bétail dans l’île appréhendent ce cauchemar de voir leurs bêtes baver ou encore présentant des lésions nasales, buccales, podales ou mammaires, qui débutent par des vésicules. L’espoir réside dans le programme de vaccination contre la fièvre aphteuse annoncé par l’Assemblée Régionale de Rodrigues, qui a eu recours à l’Emergency Procurement pour se doter de 60 000 doses de vaccin.

La campagne de vaccination ne devra démarrer que la semaine prochaine, selon le Dr Samoisy, qui bénéficie de l’encadrement des services de deux Veterinary Officers du ministère de l’Agro-Industrie et d’un épidémiologiste de la Commission de l’océan Indien (COI). La Commission de l’Agriculture de l’Assemblée Régionale s’attelle déjà à élaborer un plan d’aide à la relance de l’élevage après des consultations avec des éleveurs.

 La confirmation de la présence de la fièvre aphteuse à Rodrigues a ouvert un front politique avec le leader du MR réclamant la démission du chef commissaire de l’Assemblée Régionale. D’abord, il s’est félicité de la décision du conseil exécutif visant à mettre sur pied une formule de compensation en faveur des éleveurs une proposition du MR depuis deux semaines déjà. Toutefois, il s’est interrogé sur la provenance du virus de la fièvre aphteuse et de la responsabilité des autorités dans le contrôle phytosanitaire à l’aéroport et au port. Dans l’immédiat, une des hypothèses serait que le virus de Food and Mouth Disease aurait été introduit par de la viande importée et non contrôlée à partir de Maurice.

 Nicolas Von Mally privilégie une autre piste, soit celle de l’importation de bétail pour les besoins d’élevage. Il cite le précédent cas de mort suspecte de bétail dans la région de Saint-Gabriel il y a quelques mois et également la mise en quarantaine à Terre-Rouge de bêtes importées. Or, Terre-Rouge fait partie des foyers de la fièvre aphteuse avec l’épidémie en cours. Il a fait également état de cet éleveur de Mont-Charlot qui a perdu son troupeau de moutons, de cabris et de porcs avec l’introduction d’un cabri importé dans le parc. Tout cela remonte au mois de juin dernier.

 Le leader du MR regrette que ces éléments n’ont pas été pris au sérieux et n’ont  fait l’objet d’aucune enquête de la part des autorités, ce qui auarit pu faire adopter des mesures d’urgence plus tôt que prévu et prévenir l’hécatombe des troupeaux dans l’île. Il réclame une enquête approfondie tout en souhaitant voir le leader de l’opposition, Paul Bérenger, poser une Private Notice Question à l’Assemblée nationale sur cette épidémie dans les jours à venir.

Maurice pas épargnée par la fièvre aptheuse
Les services vétérinaires du ministère de l’Agro-Industrie sont sur le qui-vive avec l’épidémie de fièvre aphteuse à Rodrigues. Le problème porte sur les risques de contagion du cheptel local vu les importations de Rodrigues. Hier matin, lors d’un point de presse, le ministre de tutelle, Mahen Seeruttun, a confirmé que Maurice est aussi touchée par le biais d’une cargaison de bétail venant de Rodrigues. Ainsi, 91 bœufs, 69 moutons et 75 cabris, qui sont arrivés sur le dernier voyage du MV Anna au début de la semaine dernière, sont condamnés. Pour éviter toute propagation, les services vétérinaires ont donné l’ordre de les placer en quarantaine en vue de les abattre.

 Le ministre a également fait état d’un précédent convoi comprenant 82 bœufs, 101 moutons et 140 cabris destinés à plusieurs fermes privées. Cette cargaison a été débarquée le 15 juillet dernier, soit avant même que l’épidémie ne soit confirmée à Rodrigues. Il a expliqué que dès les premières alertes, les autorités ont mis à exécution un survey en vue de localiser les 19 fermes auxquelles étaient destinés ces animaux. Les régions concernées sont Vallées-des-Prêtres, Richelieu, Poste Lafayette, Notre-Dame, Montagne-Blanche, Arsenal, Camp-Diable et Pamplemousses.

 Six équipes de vétérinaires sont mobilisées depuis le 2 août pour assurer le suivi de ces têtes de bétail et intervenir dans les meilleurs délais. À ce stade, la présence du virus de la fièvre aphteuse a été détectée sur deux fermes, soit à Vallée-des-Prêtres et Richelieu. À Vallée-des-Prêtres, deux bestiaux sur une dizaine sont décédés. Les autorités ont décidé d’isoler ladite ferme qui comporte plusieurs animaux.
 Les 80 bœufs, moutons et cabris de la ferme de Richelieu seront également abattus pour éliminer tout risque de propagation. Cet abattage sera fait selon le protocole établi par le comité de crise, les services vétérinaires, les cadres du ministère de l’Agro-Industrie et des Administrations régionales, ainsi que de la Mauritius Meat Authority. Les consultations se déroulent de manière quotidiennes depuis la confirmation du virus à Rodrigues aussi bien qu’à Maurice.

“Le bétail sera abattu le plus humainement possible avant d’être enterré”, a déclaré le ministre. Selon nos renseignements, ces derniers sont anesthésiés sur la ferme et transportés vers les lieux où ils seront abattus d’une balle à l’oreille. Cette étape devra être franchie aujourd’hui et le ministre annonce un suivi strict de l’évolution de la situation sur le terrain.

 Par ailleurs, l’apport de la force policière a été sollicitée pour lutter contre la pratique d’abattage illégal de plus en plus courante. À Maurice tout comme à Rodrigues, le gouvernement estime que tout est sous contrôle. Interrogé quant à la compensation que recevront les éleveurs, le ministre a fait comprendre que la préoccupation majeure n’est pas d’ordre financier. Bien que les modalités sont toujours à être précisées, le gouvernement pense allouer une somme entre Rs 1 500 et Rs 15 000 par tête de bétail.

 Par ailleurs, environ 10 000 vaccins seront importés dans un premier temps pour Maurice pour contrôler cette fièvre qui est, rappelons-le, une première pour Maurice et Rodrigues.

Ce qu’il faut savoir de la fièvre aphteuse
La fièvre aphteuse est une maladie animale (ou épizootie) d’origine virale. Le virus à l’origine de cette maladie est très contagieux et affecte les ruminants et les porcins, domestiques et sauvages. Toute épidémie entraîne des répercussions économiques significative.

 La fièvre aphteuse se caractérise par l’apparition d’aphtes et d’ulcères superficiels. Ces lésions entraînent une salivation intense. L’animal boîte et présente des troubles de mastication. La production laitière chute. Tout animal suspect est abattu ainsi que l’ensemble du troupeau. Des tests vétérinaires devront confirmer le diagnostic. Le temps d’incubation de la maladie varie de deux à quatorze jours.

 La fièvre aphteuse se transmet par trois voies de contamination :
— par contact entre animaux. Toutes les excrétions d’un animal infecté ont un pouvoir contaminant : air expiré, excréments, urine, lait, sperme
— par l’intermédiaire de vecteurs vivants (hommes ou animaux) ou inanimés (tracteur, voiture, chaussures )
— grâce au vent, qui peut, selon certaines conditions climatiques, propager le virus sur de longues distances.
 La maladie n’est pas transmissible à l’homme. Cependant, quelques cas exceptionnels ont été observés dans des conditions particulières. Les symptômes étaient mineurs (fièvre, cloques au niveau des mains et de la bouche ) et ont disparu spontanément. Le dernier cas humain rapporté en Grande-Bretagne a été observé en 1966.

Source: lemauricien.com / Weed End du 07.08.16

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