L’épidémie de fièvre aphteuse gagne du terrain avec plus de 400 têtes de bétail contaminées à hier matin.
Depuis mercredi dernier, les autorités
à Rodrigues sont en état de veille sanitaire d’urgence. Les craintes de
la présence du virus de la fièvre aphteuse (Food and Mouth Disease)
dans l’île et affectant de manière irrémédiable le cheptel de l’île
s’avèrent dramatiques. Depuis, le décompte de têtes de bétail
contaminées par cette grave maladie virale ne cesse d’augmenter. À moins
d’une centaine en début de semaine, le nombre de bestiaux,
principalement de bœufs, affectés par la fièvre aphteuse, a déjà passé
la barre des 400, soit plus exactement 420 à hier matin, avec de
nouveaux cas rapportés aux autorités vétérinaires de jour en jour, et 12
bœufs ayant déjà succombé au virus, de même que 22 porcs, 19 cabris et
11 moutons.
À ce stade, le conseil exécutif de l’Assemblée Régionale de
Rodrigues, qui prévoit un budget de Rs 35 millions sous forme de
compensation aux éleveurs, a pris la décision que tous les animaux
infectés seront abattus dans une tentative d’enrayer la progression du
virus hautement contagieux. Mais au sein de la communauté des éleveurs
de Rodrigues, qui considèrent leurs troupeaux comme un « véritable
trésor », l’on arrive difficilement à comprendre comment la situation a
pu dégénérer, au point où l’élevage bovin, porcin et ovin est menacé de
disparition.
Pour ne pas être en reste, le leader du Mouvement
Rodriguais, Nicolas Von Mally, est monté au créneau en fin de semaine
réclamant la démission du chef commissaire, Serge Clair. Le danger que représente la fièvre aphteuse pour l’économie de
Rodrigues ne fait aucun doute. Face à la presse jeudi, après une réunion
d’urgence du conseil exécutif de l’Assemblée Régionale de Rodrigues,
Serge Clair a fait ressortir que « cette épidémie est une véritable
catastrophe pour l’élevage et pour Rodrigues » compte tenu de
l’importance de cette activité dans le tissu socio-économique. Il a
lancé un appel à la coopération de tout un chacun sur le terrain en vue
de lutter contre la progression de cette épidémie et dévoilé également
les détails d’un plan de compensation à hauteur de Rs 35 millions en
faveur des victimes.
Déjà, le problème dépasse le simple cadre d’une compensation et
s’étend à une remise en question du mode de vie dans l’île. Le barème de
compensation allant de Rs 1 500 pour un pourceau abattu pour infection à
Rs 35 000 pour un bœuf de plus de deux ans ou encore Rs 6 000 pour un
mouton ou cabri (adulte), est considéré comme nettement insuffisant
devant le préjudice économique, social et moral subi par l’éleveur. À ce
stade, les objections se font timidement entendre, même si elles
pourraient devenir sonores dans les jours à venir, tant les
préoccupations de tout un chacun avec les effets dévastateurs sur le
terrain sont angoissantes.
Les régions de Rodrigues en passe d’être décrétées zones sinistrées
par l’épidémie de fièvre aphteuse sont le Nord avec les villages de
Roseaux, Vangar, Terre-Rouge et Crève-Coeur, et ceux de l’Ouest sont
Pistache et Plaine-Corail. Les craintes de contagion des élevages des
villages avoisinants ne cessent d’accroître, même si l’Assemblée
Régionale de Rodrigues a sollicité le concours de la police pour limiter
le libre mouvement du bétail en plein air au terme des dispositions de
l’Animal Disease Act.
Les consignes du chef vétérinaire dans l’île, le Dr Jean-Marc Samoisy,
sont catégoriques : « Les éleveurs doivent garder leurs animaux attachés
ou dans un parc pour éviter la propagation de ce virus. Les éleveurs
doivent désinfecter leurs mains, leurs pieds et leurs vêtements avec de
l’eau de javel après avoir été en contact avec leurs animaux. Il faut
maintenir à distance d’autres animaux comme les chiens, les chats ou les
rats car ils peuvent transmettre le virus. »
Recommencer à zéro
Ces directives viennent bousculer les habitudes des éleveurs, comme
l’affirme Jean-Marc, éleveur de carrière. « Les Rodriguais n’ont pas
pour habitude d’aller chercher du fourrage pour leurs bêtes ou encore de
les garder dans un parc. Le troupeau est laissé en plein air. Beaucoup
ne comprennent pas ce qui se passe ou encore moins la portée de cette
épidémie. Rodrigues bien tipti ek pou kapav élimine sa maladi-la, pou
bizin élimn tou bann zanimo-la ek rekoumans à zéro », concède-t-il.
Entre-temps, Jean-Marc, qui est propriétaire de trois bœufs, se plie
aux exigences de la conjoncture en les enfermant dans un parc et en leur
apportant de quoi se nourrir. Chaque matin, à son réveil, il court vers
le parc pour dresser un constat de l’état de ses bœufs tout en priant
qu’ils soient épargnés de la fièvre aphteuse vu que d’autres régions,
comme l’Est et le Sud-Est, pourraient se retrouver sous la menace.
Par contre, le sort s’est abattu cruellement sur Bernardin Isaure,
éleveur exerçant à Plaine-Corail, du côté de l’aéroport. Depuis 1984, ce
pêcheur à la senne a consenti à des sacrifices pour se constituer un
troupeau de 37 bœufs, dont 16 taureaux. Il avait commencé avec un boeuf
et jusqu’à tout récemment, son troupeau était sa fierté. « Ti mo trézor
sa. Mo péna kont labank mwa. Zordi tout finn fini », confie-t-il à
Week-End, les larmes aux yeux.
En moins d’une nuit, l’épidémie de fièvre aphteuse a affecté son
troupeau et tous ses plans pour les membres de sa famille et son
employé, Nathaniel François, qui assurait le gardiennage de son
troupeau, sont chambardés. « Le premier signe avant-coureur est survenu
mercredi. Mo ti pé lev kazyé lor lamer. Mo finn gagn enn message ki dir
mwa éna enn bef ki pé bavé. J’ai donné des instructions de le séparer du
reste du troupeau et de l’attacher loin du parc. Mwa mo kwar ki ti déza
tro tar », raconte cet éleveur abattu par ce qu’il découvrira le
lendemain matin.
Pour la nuit de mercredi à jeudi, le reste du bétail fut gardé dans le
parc. « Zédi matin, létan mo al guet bann lézot bef, mo finn gagn sok
mo lavi. Tou mo bef ti pé bavé. Mo finn vérifié bann zanimo enn par enn.
Zot tou ti pé bavé. Mo pa lé kwar mo dir ou », ajoute-t-il en essayant
de se mettre en contact avec les services vétérinaires de Rodrigues déjà
sous pression ce jeudi matin et submergés par les appels téléphoniques
de détresse.
« J’estime que j’ai essuyé des pertes de Rs 1 million. Pire que cela.
Ce troupeau de bœufs était mon avenir et m’avait permis d’assurer
l’éducation de mes enfants, de faire l’acquisition d’un bateau de pêche
et des casiers. Séki pé arrive mwa-la, zamé finn arrivé. Finn éna
lasesres. Mé sa mo pa ti pé atann », lâche-t-il en se tournant vers
Nathaniel, âgé de 23 ans, qui se voit sans travail du jour au lendemain
avec le prochain abattage des bœufs infectés. Le jeune homme est
doublement affecté car, outre de perdre son emploi, il avait développé
des liens affectifs avec chacun des bœufs, qui étaient sous sa
responsabilité chaque jour.
Campagne de vaccination
Le drame que vit Bernardin Isaure n’est pas unique à Rodrigues, car
bon nombre d’éleveurs avec un cheptel de quel que 10 000 têtes de bétail
dans l’île appréhendent ce cauchemar de voir leurs bêtes baver ou
encore présentant des lésions nasales, buccales, podales ou mammaires,
qui débutent par des vésicules. L’espoir réside dans le programme de
vaccination contre la fièvre aphteuse annoncé par l’Assemblée Régionale
de Rodrigues, qui a eu recours à l’Emergency Procurement pour se doter
de 60 000 doses de vaccin.
La campagne de vaccination ne devra démarrer que la semaine prochaine,
selon le Dr Samoisy, qui bénéficie de l’encadrement des services de deux
Veterinary Officers du ministère de l’Agro-Industrie et d’un
épidémiologiste de la Commission de l’océan Indien (COI). La Commission
de l’Agriculture de l’Assemblée Régionale s’attelle déjà à élaborer un
plan d’aide à la relance de l’élevage après des consultations avec des
éleveurs.
La confirmation de la présence de la fièvre aphteuse à Rodrigues a
ouvert un front politique avec le leader du MR réclamant la démission du
chef commissaire de l’Assemblée Régionale. D’abord, il s’est félicité
de la décision du conseil exécutif visant à mettre sur pied une formule
de compensation en faveur des éleveurs une proposition du MR depuis deux
semaines déjà. Toutefois, il s’est interrogé sur la provenance du virus
de la fièvre aphteuse et de la responsabilité des autorités dans le
contrôle phytosanitaire à l’aéroport et au port. Dans l’immédiat, une
des hypothèses serait que le virus de Food and Mouth Disease aurait été
introduit par de la viande importée et non contrôlée à partir de
Maurice.
Nicolas Von Mally privilégie une autre piste, soit celle de
l’importation de bétail pour les besoins d’élevage. Il cite le précédent
cas de mort suspecte de bétail dans la région de Saint-Gabriel il y a
quelques mois et également la mise en quarantaine à Terre-Rouge de bêtes
importées. Or, Terre-Rouge fait partie des foyers de la fièvre aphteuse
avec l’épidémie en cours. Il a fait également état de cet éleveur de
Mont-Charlot qui a perdu son troupeau de moutons, de cabris et de porcs
avec l’introduction d’un cabri importé dans le parc. Tout cela remonte
au mois de juin dernier.
Le leader du MR regrette que ces éléments n’ont pas été pris au
sérieux et n’ont fait l’objet d’aucune enquête de la part des
autorités, ce qui auarit pu faire adopter des mesures d’urgence plus tôt
que prévu et prévenir l’hécatombe des troupeaux dans l’île. Il réclame
une enquête approfondie tout en souhaitant voir le leader de
l’opposition, Paul Bérenger, poser une Private Notice Question à
l’Assemblée nationale sur cette épidémie dans les jours à venir.
Maurice pas épargnée par la fièvre aptheuse
Les services vétérinaires du ministère de l’Agro-Industrie sont sur le
qui-vive avec l’épidémie de fièvre aphteuse à Rodrigues. Le problème
porte sur les risques de contagion du cheptel local vu les importations
de Rodrigues. Hier matin, lors d’un point de presse, le ministre de
tutelle, Mahen Seeruttun, a confirmé que Maurice est aussi touchée par
le biais d’une cargaison de bétail venant de Rodrigues. Ainsi, 91 bœufs,
69 moutons et 75 cabris, qui sont arrivés sur le dernier voyage du MV
Anna au début de la semaine dernière, sont condamnés. Pour éviter toute
propagation, les services vétérinaires ont donné l’ordre de les placer
en quarantaine en vue de les abattre.
Le ministre a également fait état d’un précédent convoi comprenant 82
bœufs, 101 moutons et 140 cabris destinés à plusieurs fermes privées.
Cette cargaison a été débarquée le 15 juillet dernier, soit avant même
que l’épidémie ne soit confirmée à Rodrigues. Il a expliqué que dès les
premières alertes, les autorités ont mis à exécution un survey en vue de
localiser les 19 fermes auxquelles étaient destinés ces animaux. Les
régions concernées sont Vallées-des-Prêtres, Richelieu, Poste Lafayette,
Notre-Dame, Montagne-Blanche, Arsenal, Camp-Diable et Pamplemousses.
Six équipes de vétérinaires sont mobilisées depuis le 2 août pour
assurer le suivi de ces têtes de bétail et intervenir dans les meilleurs
délais. À ce stade, la présence du virus de la fièvre aphteuse a été
détectée sur deux fermes, soit à Vallée-des-Prêtres et Richelieu. À
Vallée-des-Prêtres, deux bestiaux sur une dizaine sont décédés. Les
autorités ont décidé d’isoler ladite ferme qui comporte plusieurs
animaux.
Les 80 bœufs, moutons et cabris de la ferme de Richelieu seront
également abattus pour éliminer tout risque de propagation. Cet abattage
sera fait selon le protocole établi par le comité de crise, les
services vétérinaires, les cadres du ministère de l’Agro-Industrie et
des Administrations régionales, ainsi que de la Mauritius Meat
Authority. Les consultations se déroulent de manière quotidiennes depuis
la confirmation du virus à Rodrigues aussi bien qu’à Maurice.
“Le bétail sera abattu le plus humainement possible avant d’être
enterré”, a déclaré le ministre. Selon nos renseignements, ces derniers
sont anesthésiés sur la ferme et transportés vers les lieux où ils
seront abattus d’une balle à l’oreille. Cette étape devra être franchie
aujourd’hui et le ministre annonce un suivi strict de l’évolution de la
situation sur le terrain.
Par ailleurs, l’apport de la force policière a été sollicitée pour
lutter contre la pratique d’abattage illégal de plus en plus courante. À
Maurice tout comme à Rodrigues, le gouvernement estime que tout est
sous contrôle. Interrogé quant à la compensation que recevront les
éleveurs, le ministre a fait comprendre que la préoccupation majeure
n’est pas d’ordre financier. Bien que les modalités sont toujours à être
précisées, le gouvernement pense allouer une somme entre Rs 1 500 et Rs
15 000 par tête de bétail.
Par ailleurs, environ 10 000 vaccins seront importés dans un premier
temps pour Maurice pour contrôler cette fièvre qui est, rappelons-le,
une première pour Maurice et Rodrigues.
Ce qu’il faut savoir de la fièvre aphteuse
La fièvre aphteuse est une maladie animale (ou épizootie) d’origine
virale. Le virus à l’origine de cette maladie est très contagieux et
affecte les ruminants et les porcins, domestiques et sauvages. Toute
épidémie entraîne des répercussions économiques significative.
La fièvre aphteuse se caractérise par l’apparition d’aphtes et
d’ulcères superficiels. Ces lésions entraînent une salivation intense.
L’animal boîte et présente des troubles de mastication. La production
laitière chute. Tout animal suspect est abattu ainsi que l’ensemble du
troupeau. Des tests vétérinaires devront confirmer le diagnostic. Le
temps d’incubation de la maladie varie de deux à quatorze jours.
La fièvre aphteuse se transmet par trois voies de contamination :
— par contact entre animaux. Toutes les excrétions d’un animal infecté
ont un pouvoir contaminant : air expiré, excréments, urine, lait, sperme
— par l’intermédiaire de vecteurs vivants (hommes ou animaux) ou inanimés (tracteur, voiture, chaussures )
— grâce au vent, qui peut, selon certaines conditions climatiques, propager le virus sur de longues distances.
La maladie n’est pas transmissible à l’homme. Cependant, quelques cas
exceptionnels ont été observés dans des conditions particulières. Les
symptômes étaient mineurs (fièvre, cloques au niveau des mains et de la
bouche ) et ont disparu spontanément. Le dernier cas humain rapporté en
Grande-Bretagne a été observé en 1966.
Source: lemauricien.com / Weed End du 07.08.16